Livre 4 - Le pain du jour
Titre 1 - Petite planète
La source
Il fuyait! Il avait toujours fui.
D'abord il était sorti du ventre de sa mère en faisant un siège complet. Son pied gauche avait tâté l'air, subrepticement, à peine une minute avant le vagissement originel.
Son premier bulletin de santé indiquait: "Fragilité morbide".
Pour autant, ce n'est pas la mort qu'il fuyait. Il courait avec elle à travers la vie, fuyant vers l'avenir pour emmagasiner un maximum de présent.
Le temps était un univers carcéral où chaque seconde était une devinette.
"Abracadabra" avait dit le grand magicien qui avait inventé la conscience de l'existence. "Tu seras un homme éléphant qui recherchera la source ancestrale en fuyant l'aridité de ses propres sentiments. Marcher dans le désert des sens sera ta grande solitude au milieu du tintamarre des autres. La solidarité et les actes d'amour ne te seront pas étrangers mais ta vie sera comme une étrangère."
Alors il fuyait encore pour emplir cette vie d'objets, d'êtres et de paysages afin d'essayer de se construire un environnement qui lui appartînt. Mais tout semblait fondre ou brûler et il fallait continuer.
Un jour il croisa un regard.
C'était celui de la petite marchande d'allumettes. Un regard sans issue. Il ne pouvait plus fuir.
Il ne voulait plus qu'elle meure comme elle était morte dans l'histoire de son enfance.
Il la prit dans ses bras et souffla sur son visage et sur ses mains. Son souffle avait absorbé tant de déserts et respiré tant de soleils qu'il bruissait de mille vies endormies.
La petite s'éveilla progressivement dans l'une des vies et devint une femme accomplie comme une pomme de septembre. Son nouveau regard était la porte de la source ancestrale.
Plus jamais vivre ou mourir ne serait une fuite.
Herbe folle
Le nuage est passé.
Sous la lune, à l'endroit où la tourbe séduit l'herbe folle du fossé, son petit museau fureteur a senti l'effluve du désir.
Par delà les flaques et la boue, la douce et tendrement piquante a franchi avant lui l'asphalte vitrifié.
S'élancer?
Un vrombissement fait se rétracter les pattes courtes sous une boule palpitante.
La peur est trop longue tant le désir est vif. L'air humide rend plus lourde l'odeur du plaisir fugitif.
Alors le hérisson ému de tant d'alertes se meut, se glisse, s'attise sur la chaussée limpide.
L'amour ou les phares l'ont-ils aveuglé?
Une boule roule et se déchire comme la mémoire de l'innocence.
L'extrême souffrance a côtoyé la jouissance dans un élan avec la mort, amoureuse éternelle.
Dans la voiture, l'homme dit à son épouse:
« Je me suis encore payé un de ces sales urchons. Pourvu que le pneu n'en ait pas pris un coup!»
Sur la banquette arrière, l'enfant a eu son sommeil hérissé d'un soubresaut. Comme si, sous l'infini étoilé, une auto avait roulé sur son cœur.
Océan
Tu ruminais sous l'enclume des nuits froides avant que le feu de la forge divine ne fasse miroiter tes divagations, là où la nuit s'efface dans l'effluve magnétique de l'arc en ciel du songe.
Un jour, dans l'atmosphère changeante, inspiré par l'esprit, tu fis naître la vie.
Père du cœlacanthe, témoin d'un autre temps, vous réfléchîtes longtemps avant d'accepter l'homme.
Quand le vieux poisson sage adopte l'environnement, l'humain le dompte et l’abîme jusque dans les abysses.
Tant qu'il ne s'agissait que de survivre, la faiblesse de l'homme justifiait sa ruse. Mais l'intelligence devint une puissance. Bientôt il lui fut facile d'outrepasser les lois de la nature.
Avec un peu de chance, l'homme s'autodétruirait et sa leçon imprimerait la création.
Mais un être qui ne respectait même plus sa propre espèce devenait un danger absolu pour la vie, ta création magique.
Il fallut ouvrir le tribunal du temps.
Océan! Toi qui dans la folie des lunes rousses parsème tes transes de mille drames, tu sais que ta puissance dépasse les continents et que tu peux faire naître l'ouragan comme exciter le feu de la terre et faire bouger les plaques tectoniques. On croit que c'est l'inverse tant le mariage est dense.
Océan! Tu sais bien que la mort est un puits d'encre traversé de lumière et que la vie, sa sœur jumelle, pour être dure n'en est pas moins clémente et confiante en sa résistance.
Et tu sais forcément que l'enfant humain, lui même issu de l'océan du ventre de sa mère, est innocent. Mais pour combien de temps? Il s'exonère bien vite des courants nourriciers.
Il fut donc décidé de donner une chance à l'homme tout en le secouant et d'imprégner sa mémoire jusque dans ses gênes.
Le temps étant pressant les secousses sont rudes et simultanément, la majorité humaine naïve se laisse toujours diriger par les sempiternels adorateurs d'un veau d'or, promoteurs de haine et de domination.
Les actes de bonne conscience sont comme des pansements risibles et tout semble pourrir dans un éclat de rire de cadavre édenté.
Mais toi, Océan, tu sais que tout s'inscrit dans l'inconscient collectif et dans les entrailles des enfants à venir.
L'homme détient son propre espoir au sein de son espèce.
Mais il n'a pas la clé du temps.
Océan tu surveilles et s'il se fait trop tard tu laisseras retomber tes lames sur des larmes éternelles.
Baobab
La petite fille regardait le gros arbre.
Celui-ci n'était pas comme nombre de ses frères baobabs avec un tronc de mât de cocagne qui s'affinait vers le ciel et les racines sur la tête. Il avait la majesté accueillante et ses bras invitaient à la grimpette.
Dune ne se fit pas prier. Elle se glissa dans le feuillage. La saison des pluies touchait à sa fin.
Elle tenait à la main son petit prince. C'était le livre que sa maman lui avait offert.
La petite voulait se rapprocher des nuages et peut être de la planète inconnue. Elle grimpa jusqu'où elle le put.
Elle aimait beaucoup les images, la magie du dessin.
Mais avant d'avoir lu les explications, elle aussi avait vu un chapeau, même si elle avait très bien ressenti ensuite l'émotion de l'éléphant avalé par le boa.
Cette vision du chapeau ferait donc d'elle une grande personne!?
Ça la fascinait et l'inquiétait à la fois.
On lui disait parfois qu'elle était une grande fille, mais seulement quand on voulait qu'elle fasse des choses qu'elle n'aimait pas.
Tenir sa langue par exemple. Ou garder le secret partagé malgré elle avec le tonton gras reparti au pays.
Pourquoi chez les grandes personnes, mettait-on des mots en prison?
Le baobab empruntait les nuages comme un voyage vers le pont des âges et les rémanences de la mémoire.
Le chant de la terre
Le vent faisait chanter les feuilles des peupliers trembles et le ruisseau gazouillait au milieu des herbes folles. Plus loin, vers le sous-bois, le troglodyte déclamait son désir tandis que le hérisson furetant faisait crisser les brindilles. Là-bas dans les grands arbres, le coucou assidu répondait au martèlement du pic sans même troubler les rêves du hibou.
Au dessus de la plaine, un corbeau exprima toute sa joie de vivre.
C'était l'oiseau du paradoxe.
L'enfant l'avait d'abord reçu comme oiseau du malheur au ricanement lugubre, charognard, voleur d'œuf de poule ou croqueur de poussin, saccageur des champs fraîchement semés.
Après avoir rebaptisé l'oiseau corneille, il avait appris l'intelligence de celle-ci, sa fidélité et son sens du clan et de la solidarité. De charognarde, elle devint nettoyeuse de la nature recyclant les cadavres avant qu'ils n'infectent l'environnement. L'oiseau avait également des talents d'imitateur et ses croassements devinrent plus joyeux dans le cœur de l'enfant.
Les corneilles respectent leurs morts et se regroupent autour comme pour essayer de comprendre. Être ou ne pas être telle est leur question!
Pour l'humain, le corbeau alterne entre le nuisible et le tolérable.
Grâce à l'oiseau, l'enfant savait que l'homme devait vivre avec ses propres paradoxes et ceux du collectif.
Il devait apprendre à écouter le chant de la terre pour mieux comprendre la vie et devenir acteur d'une humanité plus saine.
Réverbération
Il avait ouvert les bras à l'immense univers de son Ego.
La mesquinerie empruntait des routes merveilleuses. Les mots étaient les siens, ils étaient fabuleux.
Et puis il y avait la magie. La magie du partage insipide. Les like dégoulinaient et plus il en donnait, plus ils lui revenaient. Enfin pas toujours! Les hauts, les bas, les bas toujours plus bas reflétaient sa vision de l'autre et faisaient miroiter son âme.
Son fond n'était pas si mauvais mais il y avait l'ambition, mère de l'Ego, qui ne se nourrissait de l'autre que comme un faire valoir. Et l'autre, ce fumier, était toujours insuffisant, jamais assez étouffé par la reconnaissance.
Cet autre devint néant et les mots devinrent ternes.
Un ego ouistiti cria dans les branchages. Il chut dans les racines et respira l'humus.
Retour à la terre! Les champignons du doute, le sang des sangliers qui fouissent des glands éphémères et puis soudain,..., les loups de l'amour. La meute, la meute enfin comme source de vie et l'autre qui devient compagnon de survie. Hurler à la lune. Les mots reprirent du sens. Si chaque gorge avait son intonation propre, jamais une réponse n'avalait la question, jamais une question n'écrasait la réponse. Et l'écoute de l'autre créait la symphonie.
Parfois un solitaire appelait les étoiles pour qu'elles puissent réfléchir son appel à la meute.
Je suis le solitaire, je suis aussi la meute.
"Donner un sens plus pur aux mots de la tribu"!
Que dis-tu Mallarmé?
Tu déterres un corbeau et fait sonner les mots et la peau d'Edgar Poe, mal armé pour la vie, chiendent de l'absolu dans le terreau du verbe.
Seuls les mots et la peau de l'autre peuvent faire résonner mon âme, mon cœur,...,
mon sexe?(Ah! Ah! Ah! L'ingrédient qui tue!)...
Mes mots !
Alors! Alors,
Oseras-tu prétendre au panthéon des mots
Ubuesque poète étalé sur la toile
Versatile albatros épanché sur tes maux
Regarde toi dans l'autre et déchire le voile
Obscurcissant ton âme Élève toi enfin
Néglige l'adjectif et oublie l'apostrophe
Sillonne la nature et l'autre et leurs confins
Le verbe est ton radeau pour vaincre les flots noirs
Epouse la syntaxe et fait vibrer la strophe
Si dans un sang trop lisse un mot tisse l'espoir
Brise son apathie laisse hurler le silence
Rassemble tous tes sens et fais parler la transe
Alors enfin parfois un poème surgit
Saluant la nuée qui pleure à sa magie
Parfum de l'univers qui s'ouvre dans tes bras